Une récente étude révèle que 20% des cadres en France ne veulent pas ou plus gérer d’équipe. Des anciens managers et experts interrogés par Maddyness ont tenté d’expliquer ce désamour pour cette fonction d’encadrement.
« Si tu n’es pas manager à 40 ans, tu as raté ta vie », pensait Bérangère Gonzalez, créatrice du blog Happy Recruteuse et content manager indépendante, au début de sa carrière. « Pendant mes 10 années passées dans le recrutement, je voyais cette perspective comme le graal, le dernier niveau d’un jeu où tu deviens le boss ». Aujourd’hui indépendante, c’est en se confrontant à la mission d’encadrement qu’elle a compris qu’elle idéalisait cette fonction. « Je me suis extraite de cette vision rose et pailletée et j’ai quitté mon job pour m’épanouir vraiment ».
En France, le rôle de manager a longtemps revêtu une image prestigieuse. « Il y a peu de temps encore, être manager était la voie royale pour ceux qui voulaient construire une carrière en entreprise, c’était presque un passage obligé, un indice de performance pour montrer qu’on avait une trajectoire dynamique », analyse David Mahé, administrateur chez Syntec Conseil et fondateur du groupe de conseil en ressources humaines Human & Work. « Un bon technicien devenait naturellement manager, sans qu’on se pose vraiment la question de ses capacités à remplir cette mission ni même des contours de cette fonction ».
Un métier qui ne fait plus rêver
Aujourd’hui, la tendance semble se renverser et la fonction de manager ne fait plus rêver nombre de salariés. Une étude menée par Indeed révèle que 20% de cadres n’ont pas ou plus envie d’exercer une fonction d’encadrement. En cause ? Une surcharge de travail sur une mission aux attentes floues et parfois aux injonctions contradictoires. « Beaucoup de managers se retrouvent coincés entre le marteau et l’enclume, remarque Damien Lambert, qui a occupé ce rôle pendant 15 avant avant de lancer Semer & Grandir, une société d’accompagnement des TPE et PME pour former leurs managers. Ils sont souvent à des postes intermédiaires, pris entre les attentes de leur équipe et les impératifs venus d’en haut… Cela ne leur laisse bien souvent que peu de marge de manoeuvre, ce qui créé un sentiment d’inutilité, voire de frustration. Cette charge physique et mentale est épuisante ».
Le manque de liberté peut aussi être accompagné d’une surcharge de travail. « Je faisais tout ce que je pouvais, mais il était difficile de conserver toute mes responsabilités opérationnelles et d’y ajouter le pilotage de cinq personnes, confie Bérangère Gonzalez. J’avais souvent trop la tête dans le guidon pour prendre du recul et m’occuper de mon équipe. Un manager doit disposer de temps pour encadrer comme il faut, mais il est trop souvent perçu comme un couteau suisse qui doit être sur tous les fronts ».
Et, malgré le travail abattu, cette recruteuse a également souffert d’un manque de reconnaissance en entreprise : « Quand on donne tout pour son job, qu’on prend en charge les responsabilités et les problèmes, mais qu’on n’est pas reconnu ni valorisé, on finit vraiment par se dire ‘à quoi bon’ », poursuit-elle tout en s’étonnant que de nombreuses entreprises aient placé les fonctions RH en « super-héros » pendant la crise sanitaire, « mais que cet élan n’ait pas suivi côté management, alors que ces salariés ont eu tellement à gérer… Toutes ces raisons créent une vraie fracture ».
Pour Noémie*, communicante, l’arrivée d’un enfant a créé un déclic. « J’ai adoré manager pendant près de 10 ans, je suis très sensible au caractère humain de cette fonction, mais j’ai commencé à ressentir une certaine fatigue dans l’énergie que ça demandait. Quand j’ai eu mon fils, j’ai décidé de placer cette énergie ailleurs ». Pour cette dernière, impossible de se libérer assez de temps en conservant sa fonction : « Je veux pouvoir jouer aux Lego le mercredi après-midi et travailler le samedi matin, cela est impossible quand on a une équipe à gérer… J’ai choisi le package liberté », plaisante-t-elle. Une vision partagée par Bérangère Gonzalez, qui ajoute : « Les gens placent le curseur ailleurs aujourd’hui, ils ont compris que devenir chef n’était pas une finalité en soi, qu’on peut aspirer à plus de simplicité et que manager en faisant des semaines de 70 heures n’était pas idéal pour gérer l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle ».
Un manque de formation
L’unes des problématiques souvent relevées par les personnes qui veulent se détacher de cette fonction réside dans le manque d’accompagnement et de formation pour cette mission. « En France, on perçoit le management comme inné, contrairement aux pays anglo-saxons qui ont compris que cela s’apprenait, explique Damien Lambert. Mais être un bon expert dans un domaine ne veut pas dire être bon manager… Cela peut être plus ou moins intuitif selon les individus, mais cette fonction s’apprend, des outils existent pour faciliter l’exercice de ce métier et il faut s’entraîner sur ses soft skills ». Quand elle a demandé une formation en management, Bérangère Gonzalez a reçu un refus de son supérieur, ce dernier lui rétorquant que ce genre de responsabilités s’apprenait « sur le tas ».
Et si ce désamour pour le management existait avant 2020, il a été exacerbé par la crise sanitaire. « Le contexte pandémique et la difficulté à gérer des équipes à distance a accentué ce sentiment de solitude face à l’ampleur de la tâche, ajoute Noémie*. Il est difficile de devoir sans cesse motiver ses équipes alors qu’on est potentiellement soi-même en train de déprimer chez soi… ». Une observation à laquelle David Mahé ajoute : « Ça a fait éclore une question de sens autour du management : quelle est la valeur ajoutée de ma mission? Contrôler l’activité des uns et des autres ou continuer de développer les talents, de créer du lien social et de l’énergie collective ? Encore une fois, les managers ont pu être ensevelis sous des injonctions contradictoires ».
Mais alors comment redonner le goût aux salariés de manager ? L’enjeu est crucial puisque « l’impact du management est énorme pour une entreprise, signale Noémie*. Un manager qui ne travaille pas bien ou n’a plus le goût de la fonction peut plomber la productivité d’une équipe, et donc leur moral et l’image d’une société toute entière ». Convaincu du rôle clé des managers, David Mahé insiste : « C’est un relai qui doit incarner les valeurs et les routines d’une entreprise, il faut impérativement leur donner des lignes de conduite claires et détailler ce qu’on attend d’eux à travers une politique et une feuille de route précises ».
Redéfinir la fonction pour lui donner du sens
Une des clés semble donc bien d’en finir avec une définition vague de la fonction. « Le mot « manager est devenu un ‘fourre-tout’ , si bien qu’on en a perdu la signification originelle » – celle de s’occuper de ses équipes – se désole Bérangère Gonzalez. Pour Damien Lambert, il faut arrêter de « noyer la mission ‘garant de l’esprit d’équipe’ au milieu des fiches de postes, alors que cela peut représenter jusqu’à 50% du temps de travail d’un manager ».
« L’image du management est noircie à cause d’un quotidien épuisant, plongé dans la gestion de l’opérationnel et le contrôle, puisqu’encadrer n’est pas reconnu comme un métier, mais comme une fonction annexe, conclut Damien Lambert. La clé, c’est de redonner du sens à ce métier en le recentrant sur sa mission d’origine : contribuer au bien-être, à la montée en compétence et au développement de ses équipes. Une fois formés, ces managers, à qui on donne du temps pour la gestion de l’humain, se sentent ainsi reconnus, savent pourquoi ils sont là et contribuent à la santé de l’entreprise ».